Contexte
En tant que développeur, faire sa veille tourne souvent autour de sujets techniques. Pourtant, il est essentiel de reconnaître l’impact significatif d’autres éléments sur notre travail quotidien et notre épanouissement au sein de l’entreprise.
Je m’appelle Benjamin, je suis un développeur fullstack depuis une dizaine d’années, et aujourd’hui je veux partager avec vous mes premières rencontres avec le management, et surtout les insights que nous avons pu rencontrer au fur et à mesure que nous l’avons mis en place et développé chez Takima.
Cet article aurait pu s’appeler “Monter un management en 4 ans dans une boite en croissance : réussites, échecs, nous vous disons tout”, mais je préfère rester sobre et ne pas m’emporter sur les promesses.
Je travaille pour Takima depuis 2018, une entreprise de service dans le numérique (ESN). Elle est pilotée par Olivier Duvoid et François-Pierre Chalopin, qui en plus de la gérance, assurent aussi le management de tous les collaborateurs (une cinquantaine en 2017).
Et en 2018, Takima est en pleine effervescence. L’entreprise se réorganise et mise de plus en plus sur trois piliers fondateurs : le partage d’expertise technique, la transmission, et une superbe culture de boite. Takima se réinvente, et ça marche ! Les trois années suivantes sont marquées par une belle croissance des effectifs. Sauf que voilà : gérer une équipe de 50 personnes à seulement 2 personnes, c’était compliqué. Plus, ça devient impossible si l’on veut bien faire les choses. Nous avons atteint la limite de ce système.
La genèse du management chez Takima
A partir de fin 2019, Loïc Ortola, qui prend alors ses fonctions de CTO, s’empare du sujet et dessine, avec une petite équipe de consultants intéressés par le sujet, ce qui sera le début d’un nouveau volet dans le management au sein de l’entreprise.
Le mot clé ? Insuffler.
Pour exceller, une ESN se doit, d’après moi, d’avoir une bonne culture d’entreprise, c’est-à-dire arriver à garder le contact entre les collaborateurs qui sont plus souvent chez le client qu’au siège. Le challenge n’est pas d’avoir cette culture d’entreprise, il est de la maintenir et de la développer, en mettant en action les gens qui l’animent.
“La seule valeur intrinsèque d’une ESN, c’est les gens qui la composent”
Olivier Duvoid
L’humain est primordial pour le management car il n’y en aurait pas sans lui. Et comment mieux faire vivre l’entreprise et suivre les consultants quand augmentant les échanges en son sein.
Sans brûler d’étapes, nous avons mis en place de la documentation, nous avons sélectionné un groupe restreint de managers et nous avons commencé l’expérience. Forts de notre expérience dans des environnements agiles, nous avons opté pour une approche itérative, cherchant continuellement à s’améliorer.
Notre Canevas
Un pair plus expérimenté, pas un supérieur
L’un des risques lorsque nous nous mettons à construire un modèle de management, est de créer une strate supplémentaire et introduire une notion de hiérarchie. Nous n’avons pas de soucis avec cela, mais nous avons l’intuition que la bonne manière de faire était d’avoir une relation de confiance qui crée des ponts plus que des murs. C’est plus simple de s’identifier à nos pairs (un peu plus expérimentés quand même) qu’à nos “supérieurs”.
Le lien qui se tisse alors entre le manager et ses consultants est unique, aussi bien sur les échanges techniques que les moments privilégiés qu’ils partagent. Et j’ai le sentiment que nous sommes arrivés à ne pas élever des consultants au-dessus des autres mais plutôt à insérer du contact riche entre tous. Une vraie victoire au milieu d’un monde qui vit de contre-exemples.
Entre compétences et envie
Les Managers Takima sont donc d’abord eux-aussi des consultants en mission, qui ont l’envie de consacrer du temps à en accompagner d’autres. Bien entendu, cela implique aussi que la personne possède les qualités humaines requises ainsi qu’une expérience technique enrichissante à partager avec les plus jeunes.
Le rôle de manager est donc un rôle que nous proposons à des personnes en fonction de leurs aptitudes sur ces points.
S’il est important d’avoir des qualités humaines bien spécifiques, nous mettons aussi un point d’honneur à ce que tous les managers ne se ressemblent pas : de la même manière que la diversité et la richesse des profils au sein de Takima en fait une force dans la diversité des contextes clients, les collaborateurs de l’entreprise auront besoin de managers avec des profils variés. Oui, nous avons des managers extravertis, d’autres introvertis, des gens hyper compétents dans leur domaine, d’autres hyper à l’aise socialement, et nous sommes fiers de ça !
En pratique, chaque année nous évaluons, entre managers, les candidates et candidats potentiels pour rejoindre l’équipe, et leur proposons ce rôle. S’en suivra un échange dédié (une réunion d’information et une table-ronde) avec les personnes intéressées pour comprendre le management pour réaffirmer leur souhait de rejoindre l’équipe ou non. Cette position n’est pas, et ne devrait jamais l’être, imposée au consultant. Être manager demande beaucoup de soft skills humains, de la rigueur, de savoir et comprendre l’impact de ses mots, mais implique aussi que nous ne sommes plus simplement des consultants mais que nous avons accès à des informations plus sensibles et qu’il faut comprendre que notre voix prend de la valeur et il ne faut pas en abuser.
Du temps pour faire, et apprendre à faire
Manager prend du temps. Ça, nous le savions depuis le début. Ce que nous avons appris, c’est aussi qu’il faut du temps pour “apprendre à manager”, et qu’il prend même plus de ressources que de faire.
L’année de chaque consultant est organisée en une suite de points de rencontre. Ils sont soit formels (Entretiens professionnels, Entretiens d’objectifs), soit informels (Entretiens de suivi et Teambuilding. Oui, nous pouvons aussi passer du temps juste pour se voir sans enjeux 🙂). Chaque manager dispose d’un budget et est libre d’organiser ces échanges quand lui et les personnes accompagnées le souhaitent.
Chaque consultant a un manager attitré, qui saura le guider au sein de son parcours dans l’entreprise mais aussi sur sa carrière professionnelle. Ils passeront en moyenne trois entretiens par an, permettant un suivi régulier qui valorise le consultant.
Les leçons que nous avons apprises
Presque 4 ans après le début de cette aventure, nous avons appris quelques enseignements. Chaque année passant était pour nous l’occasion d’onboarder de nouveaux managers, de faire une rétrospective avec ceux existants, et d’imaginer à quoi ressemblerait l’itération suivante. Voici ce que nous en avons ressorti.
Nous ne naissons pas Manager
Pour bien comprendre le rôle du manager chez Takima, il est essentiel de définir son champ d’intervention. Un manager chez Takima joue le rôle de lien privilégié entre un consultant et l’entreprise, mais aussi avec le monde de l’informatique et le développement d’applications web.
Généralement, nos managers commencent à occuper cette fonction à partir de la fin de leur deuxième année au sein de notre équipe. Savoir ce que nous souhaitons faire au niveau de sa carrière professionnelle n’est pas évident et accompagner des gens n’est donc pas instinctif. Comme nous ne naissons pas manager, nous avons élaboré un système de management qui évolue en fonction des collaborateurs sous sa supervision. Nous franchissons des étapes bien définies pour se sénioriser dans ce rôle.
À travers leurs expériences, les managers juniors sont en mesure de rassurer les jeunes consultants qui font leurs premiers pas dans le monde du travail, en particulier dans le domaine du consulting où la première mission est souvent accompagnée de grands changements. Depuis l’avènement de la pandémie de COVID-19, nous avons constaté l’importance cruciale de ce point. Un manager peut véritablement changer la perception d’une mission et le bien-être d’un consultant lors de sa première mission.
Après une année d’expérience, le manager prend le rôle de stimuler le consultant en l’incitant à identifier la prochaine étape stratégique pour enrichir son profil professionnel.
Atteindre le niveau de séniorité en management implique de guider activement les collaborateurs dans le domaine des carrières en informatique. Ce processus consiste à les assister dans la découverte de la trajectoire professionnelle la plus adaptée à leurs compétences et leurs envies, tout en évaluant les moyens par lesquels l’entreprise peut favoriser cette évolution. Aborder la notion de carrière peut sembler complexe, surtout pour les jeunes, mais cet accompagnement joue un rôle essentiel en ouvrant les yeux tant des managers que des consultants sur les vastes possibilités offertes dans notre domaine d’expertise.
Un manager suit ses consultants et grandit avec elle. Il franchit des étapes chaque année tout en étant accompagné par des managers plus expérimentés.
La dernière génération de managers que nous avons eue est plus jeune, directement exposée au nouveau système de management. Avec en moyenne seulement deux années d’expérience professionnelle, ces managers ont été les premiers consultants à expérimenter ce système, et ils en connaissent les points faibles et les frustrations qu’il peut engendrer. Les accompagner dans la pleine compréhension de l’importance de leur rôle représente un défi, mais cela constitue également une opportunité précieuse pour recueillir leurs retours d’expérience.
Donner le temps de bien manager
Pour que le manager accompagne et guide son consultant, il a besoin d’allouer du temps non négligeable pour s’affranchir des nombreuses tâches qui l’incombent et cela quel que soit le type d’entreprise pour laquelle il travaille, et d’autant plus pour une ESN.
En effet, nous nous retrouvons à travailler pour un client et devoir de temps à autre gérer le management interne de l’entreprise. Il faut faire attention au context switching. Nous encourageons ainsi nos managers à réserver un seul créneau dans le mois pour s’assurer que tout va bien côté management et éviter de devoir se pencher dessus plusieurs fois. Nous ne voulons pas que ça devienne une source de stress supplémentaire. De l’autre côté, le consultant peut aussi solliciter son manager si besoin.
Ainsi, nous avons dédié le premier jeudi après-midi de chaque mois au management. Un comité de six managers expérimentés gèrent et encadrent le management. L’après-midi est balisé pour tous les managers pour leur permettre de :
- réaliser des tâches de suivi (emails, documents d’entretien, préparation d’entretien, …)
- se former dans ce rôle au travers d’ateliers
- discuter avec la direction ou les commerciaux si besoin
- échanger avec ses collègues pour monter en compétences lors de table ronde
Nous avons mis du temps avant de mettre en place cet après-midi management mais son impact est fondamental dans la réussite de cette entreprise.
Nous avons aussi alloué un budget déjeuner pour les entretiens et team building pour que chaque manager puisse se détendre et construire une équipe soudée au travers d’activités diverses et variées.
S’outiller pour simplifier le management
Pendant la deuxième itération de managers, nous nous sommes rendu compte que nombre de nos tâches quotidiennes, surtout pour les entretiens, sont sans valeur ajoutée et surtout rébarbatifs. Pour donner une idée, l’organisation d’un évènement engendre les étapes suivantes :
- duplication du template d’entretien sur google drive
- remplissage des différentes informations liés au consultant
- premier contact par email pour transmettre le lien du document au consultant
- relance si besoin pour remplir le document
- fixer une date et l’ajouter dans google calendar
- réaliser l’entretien
- signer électroniquement le document
- transmettre le document au RH
Nous comprenons bien que c’est fastidieux et que ça prend du temps.
Travaillant dans le domaine du numérique et le développement d’applications web et distribuées, nous avons commencé à réfléchir à un outil pour nous accompagner sur ce plan là. Le principe est d’alléger toutes ces tâches et que le manager n’ait plus qu’un endroit rassemblant toutes les informations dont il a besoin pour gérer ses consultants et ainsi réduire le stress que cette nouvelle position peut amener.
Cet outil a vu le jour l’été 2022 et permet aujourd’hui d’un seul coup d’oeil de savoir, au travers d’un dashboard, les prochaines étapes pour le suivi de ses consultants :
- la date des prochains entretiens à organiser
- les entretiens en cours
- les événements fondamentaux du consultants
- etc…
Accompagner sur l’évolution salariale et les frustrations
L’axe principal d’amélioration, que nous constatons après cette dernière vague, est que nous n’accompagnons pas assez le manager sur le sujet de l’évolution salariale et la gestion des frustrations que cela peut entraîner. Pour indication, les premiers entretiens d’objectifs sont forcément menés en binôme avec l’un des managers expérimentés du comité de management.
Ayant des promotions de stagiaires qui démarrent leur vie au sein de l’entreprise au même instant, nous avons beaucoup de discussions d’augmentation, ce qui n’est pas un point négatif, mais qui peut le devenir. En effet, il faut considérer que les personnes d’une même promotion vont forcément se comparer entre elles.
Le manager doit intégrer que ce type de comparaisons aura lieu, avant et après son entretien, et conduire l’entretien de manière à ce que son managé comprenne la grille d’analyse retenue, les éléments valorisés, les axes d’amélioration à traiter dans le futur susceptibles de justifier une valorisation à l’avenir.
Il faut également être à l’écoute des frustrations consécutives à ces comparaisons : “avoir moins qu’un collègue, souvent ami” peut être très mal vécu. Il faut prendre le temps d’accompagner le consultant dans une prise de recul, par exemple pour considérer qu’il est naturel que chacun et chacune ait une courbe de progression qui peut être différente.
La plus grande difficulté pour un manager est de comprendre le point de tension du consultant. La plupart du temps, c’est lié à un manque de reconnaissance orale de la part du manager sur les actions d’une année.
Dès le début, nous essayons d’être le plus transparent possible sur les enjeux de la première année en tant que consultant. Le manager au travers des échanges va pouvoir appuyer les objectifs et l’avancement de ces derniers pour que le consultant soit conscient de ce qui valorise son profil.
Tout ce travail implique de la part du manager de réfléchir autrement, de se remettre en question aussi pour être en mesure d’avoir une analyse objective de la situation en ayant bien en tête toutes les informations nécessaires à la prise de décision.
Nos prochains enjeux sont de mieux former nos managers à la gestion de ce type de discussion et des frustrations en général en imaginant des ateliers de mise en situation ciblant les différentes typologies de cas.
L’échange de messages, où comment éviter le bouche à oreille
Le dernier point que nous avons remarqué et qui nous a surpris est la retransmission de messages. Comme je l’ai écrit plus tôt, la mise en place de managers plus proches du consultant a permis d’augmenter les interactions au sein de la boîte (surtout pour une ESN), ce qui est un plus incroyable, mais en contrepartie, ça veut dire qu’il y a plus d’échanges, et donc plus de risque de dilution des messages.
Les messages prodigués par une personne peuvent en effet être modifiés ou mal interprétés par d’autres. Lorsque la direction fait passer directement un message, il a un poids certain. Lorsque le manager va faire passer ce même message, il est possible que le message perde en vigueur ou, plus rarement, change de sens ou tout simplement ne soit pas compris en tant que message important. Je ne pense pas que nous puissions empêcher ça d’arriver mais nous pouvons le prévenir en formant mieux les managers d’une part, mais aussi en clarifiant bien au niveau de toute l’entreprise la responsabilité qui petit à petit est déléguée aux managers Le manager doit être conscient que ce qu’il dit à de l’impact (et donc être vigilant quant aux messages passés), les consultants doivent quant à eux intégrer que les messages envoyés par les managers sont importants pour les accompagner dans leur progression.
Comme le propre de celles et ceux qui font et qui s’impliquent est de pouvoir aussi de temps en temps faire des erreurs, il est important que chacun ait bien en tête d’accorder le bénéfice du doute à son collègue. Autrement dit, tout message et action générant des incompréhensions ne doit pas rester sans voix et il ne faut pas hésiter à en discuter.
Conclusion
Au terme de trois années de management, nous avons appris beaucoup de choses, laissant entrevoir dès ce début d’année 2024 la nécessité de repenser intégralement notre système pour être en mesure d’absorber la croissance de l’entreprise, tout en garantissant un management au moins aussi efficace que jusqu’à maintenant.
Il est en effet pour nous, et pour moi en particulier, important de réussir à préserver nos valeurs d’exigence et de bienveillance, telles que nous les portions lorsque nous étions moins nombreux, quelle que soit la taille de nos effectifs.
Cette taille doit être une source de richesse, de diversité, et non pas une contrainte qui nous obligerait à nous transformer en une société sans âme.
Je suis donc fier à la fois de ce que nous avons accompli collectivement, et également de remettre toute notre organisation du management sur l’établi pour en penser une nouvelle itération encore plus performante en phase avec les prochaines étapes de l’évolution de Takima et de ses équipes.
Je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, de nos peines, de nos découvertes, de nos expériences, de nos frustrations mais surtout de nos joies au travers de cette aventure, car le management, c’est avant tout l’humain d’abord.